Christophe Castaner, Ministre de l’Intérieur © DR
Lors de votre interlocution conjointe avec le Premier Ministre au cours de laquelle a été annoncée la tenue probable du second tour des municipales le 28 juin, vous avez invité les candidats à « faire campagne différemment » au nom de l’exigence sanitaire. Vous leur avez notamment suggéré de « privilégier les campagnes numériques ».
Ce conseil encourageant sans limites les campagnes numériques appelle une contestation que l’association Culture papier souhaite vous apporter, forte de son expérience et de ses connaissances sur les atouts sociétaux du média papier.
Culture Papier plaide pour que l’imprimé, par nature le média égalitaire, reste privilégié et le numérique l’exception. Égalitaire car il est le seul média à mettre tous les citoyens au même niveau d’accès à l’information, et évite d’entretenir « l’archipel » français, et ses forces entropiques : celles de l’accès numérique vs illectronisme, celles de l’accès aux médias pluriels vs la voix unique des réseaux sociaux….
L’imprimé d’information privilégie le temps long de la réflexion, de l’attention et de l’échange,
- Temps long de la réflexion ; car l’imprimé – la presse comme la profession de foi – se reçoit et se lit au foyer, il associe sans discrimination les points de vue de tous les candidats, et les propositions se partagent en famille, il est souvent le seul moyen pour l’ensemble d’une famille d’être confronté à une information pluraliste,
- Temps long de l’attention ; car l’imprimé incite au recul que ce soit en tractage dans les marchés ou dans les boites, permet de sortir de la pression de l’instantanéité des écrans. C’est un média non intrusif et apprécié des citoyens, et accélérateur de notoriété,
- Enfin, il incite au temps pour l’échange d’idées ; au respect du citoyen, fondement de notre démocratie que les réseaux sociaux par leur anonymat, leur polarisation et les fakes news déboulonnent et fragilisent. Face à ses risques, la profession de foi reste le lien direct entre celui qui veut se faire élire et celles et ceux qui briguent son vote. Il est le ciment clé de cette relation démocratique avant l’isoloir.
Ne cédez pas à la promesse « d’efficacité » du numérique ; trop d’enjeux démocratiques et l’altération de notre contrat social sont en jeu comme a pu le révéler le scandale de Cambridge Analytics :
- Risques d’intrusion : une campagne numérique « électorale » s’appuie les mails, les identités des citoyens « captés » de leur navigation sur le web et les réseaux sociaux sans véritable consentement,
- Risque de profilage trop intime tant les informations disponibles sur chaque individu sont désormais fines ; le ciblage algorithmique est d’autant plus efficace qu’il agrège des milliers d’informations pour « définir » un profil vendu au plus offrant qui ne fait l’objet d’aucun cadrage ni contrôle (à la différence de l’imprimé en boîte aux lettres dont l’auteur est identifié et sa distribution limitée par le stop pub). C’est pour évacuer ce risque de manipulation avéré qu’aux Etats Unis les rares réseaux éthiques ont renoncé d’eux-mêmes à la publicité électorale …
- Risque de renforcer l’ingérence des plateformes étrangères particulièrement invasives et monopolistiques ; pour l’essentiel, l’information numérique et sa monétisation bénéficient aux plateformes étrangères. Toute information produite affine leur base et leur offre commerciale ainsi que leur modèle économique (sans pour autant payer plus d’impôt en France). C’est pour cette raison que vous avez décidé de développer une application ‘Stop Covid’ française… N’encouragez pas d’une main, ce que vous tentez d’éviter de l’autre !
- Risque enfin d’une asymétrie d’information, une part significative de la population française (20%) n’utilise pas internet ou n’y a pas accès, comme le rappelle souvent le défenseur des Droits. Le temps de l’élection est un rite qui symboliquement célèbre la réalité de l’égalité des citoyens au moment du choix de leur représentants. La symbolique est difficile à mesurer, je vous l’accorde. Pour cette raison d’ailleurs, notre époque « de comptables » tend à en négliger le ressort. Et pourtant elle est au cœur de notre pacte républicain ; elle est partout et elle « compte » plus que tout.
Que l’argument du « gaspillage » de l’imprimé ne vous influence plus, tant les qualités environnementales du papier sont établies, face à un digital faussement « dématérialisé » (qui représente entre 4/5% de la production mondiale de CO 2).
Toutes les études et mesures de performances environnementales (ACV) imprimé/papier montrent que le papier a fait sa mue responsable alors que le matériel et l’obésité énergétique du digital en sont loin. Il convient aussi de rappeler que le papier « ne détruit pas les forêts ». Au contraire, comme la menuiserie ou la fabrication de meubles, il permet d’entretenir cette ressource naturelle renouvelable : la forêt européenne a doublé en un siècle ! et la fibre de cellulose se recycle jusqu’à 7 fois.
Monsieur le Ministre, l’urgence qui appelle le succès de ce 2nd tour exige à revenir aux fondamentaux de la démocratie ; l’imprimé en constitue l’un de ces piliers.
Dans ces temps d’incertitudes économiques, encourager l’imprimé pour toute campagne électorale, c’est à la fois :
- soutenir la diversité et la pluralité de la presse d’informations qui est fragilisée plus que jamais par le drainage de la publicité digitale,
- pallier le manque de contreparties au pillage des plateformes et la crise de la distribution, remettre la presse papier au centre de la campagne, c’est lui donner un appel d’air indispensable à sa survie,
- maintenir l’écosystème du papier graphique qui malgré les difficultés restent implanté dans les territoires, et propose des emplois de proximité. Consolider ces emplois, c’est aussi participer à cette réindustrialisation que tous les citoyens appellent de leurs vœux.
La démocratie, nous rappelait Jean-Louis Debré, a besoin de ces deux moments essentiels que sont le moment de l’échange et le moment du vote. Ne l’abîmons pas.
Recevez, Monsieur le Ministre, l’expression de notre dévouement pour une planète plus démocratique.
Pierre Barki,
Le Président de Culture Papier