Lionel Meyer – Fondateur du Cabinet de Conseil et de Formation « Emotion in action »
« Lionel Meyer est le fondateur du Cabinet de Conseil et de Formation « Emotion in Action ». Spécialiste de la Relation Client et de l’Expérience Client, depuis 1997. Lionel accompagne les entreprises et les marques dans l’optimisation de leurs performances grâce à l’expérience client. »
Quel est votre parcours cher Lionel avant de fonder votre entreprise ?
Je fais une école de commerce où je l’avoue, je ne suis pas très assidu! J’aime le concret, alors je m’investis dans la Junior Entreprise dont je deviens le président. J’ai l’appétit de la création d’entreprise.
J’ai débuté dans la formation au moment de la guerre du Golfe, l’emploi était difficile à cette période. Cette expérience a dessiné ma carrière. Au bout de sept ans, j’ai fait la rencontre d’Erik Perey, qui est devenu mon mentor. Ensemble, nous avons créé notre société, qui était initialement positionnée sur les Ressources Humaines de la vente.
Nous avons répondu à un appel d’offres pour un groupe hôtelier de luxe. Quel challenge ! Nous n’avions aucune référence dans le domaine. Nous avons beaucoup travaillé notre réponse qui s’est distinguée par la richesse de son analyse et par son innovation en termes de réponses et de recommandations, face aux concurrents rompus aux attentes de ce secteur. Nous voici immergés dans le monde de l’hôtellerie et du luxe !
Autre rencontre importante, celle de François Delahaye. Il nous fait confiance pour l’accompagner lorsqu’il prend les rênes du Plaza Athénée. Cette vitrine nous ouvre les portes de l’Hôtellerie et du luxe.
Ces rencontres marquent une rupture dans votre parcours ?
En effet, c’est une rupture sous forme de nouveau challenge et de nouveau regard.
Nous sommes en 2000. Un changement de siècle.
On a observé un manque d’humain dans le secteur du Luxe, dominé par la marque, le produit, la technicité, le design, mais dont les salariés devaient plus briller par leur professionnalisme que par leur humanité. En réponse à cette observation et à ce changement, nous avons créé « Luxury Attitude ». Un vrai sujet, qui nous a conduit quelques années plus tard en 2008 à écrire un livre éponyme. Il n’existait rien de formel à l’époque permettant de définir les caractéristiques et les spécificités du service dans le Luxe. Les clients des hôtels de luxe n’étaient plus seulement la bourgeoisie aisée, mais des clients issus du monde du business, de l’Art, des people… La clientèle était moins guindée, plus internationale et plus affranchie à la consommation de services de luxe. Elle était en recherche d’expériences plus « humaines ». Cette tendance n’a jamais cessé de s’accroître depuis.
Nous avons conseillé les grands acteurs de ce secteur à apporter davantage d’humain ET à se doter d’une véritable identité de service, grâce à une méthodologie que nous avons baptisée « design de services ».
Nous étions convaincus, que grâce à l’humain, les services apportés pouvaient se designer. Cette idée est centrale à la mise en œuvre de la démarche. On travaille ainsi une véritable « signature » pour chaque établissement. Ce travail de concept singulier permet de mettre en place une plateforme d’usages et de clés, fédératrice entre les collaborateurs de l’entreprise. Ces fondamentaux offrent des repères aux collaborateurs qui réfléchissent ensemble aux services qui leur ressemblent. Nous étions précurseurs dans le domaine.
Les grands hôtels et palaces étant à proximité des boutiques de luxe, nous avons rapidement été consultés par les marques de ces boutiques. Nous avons accompagné les principales marques de luxe.
C’est ainsi que nos références acquises dans le luxe de 2000 à 2008, nous ont offert l’opportunité d’être approchés par des marques dites « premium ». Nous conseillons des leaders comme Audi, Nespresso, Air France, Club Med… qui sont confrontés à une concurrence croissante et à une banalisation de l’offre. Eux aussi font le choix d’une montée en gamme assumée et affirmée qui les conduit à s’inspirer du Luxe, dans leur communication, leur offre et bien entendu dans leurs services. Progressivement la préoccupation et la terminologie évoluent : le mot « service » est remplacé par l’expression « Expérience Client ». Le sujet devient universel. Nous avons ainsi la chance d’accompagner de nombreuses banques, compagnie d’assurances, société de transports, société de distribution,… Le sujet n’avait plus de limite. Cependant, le Luxe reste le Luxe. Notre « haute couture », notre vitrine ; les conseils et les méthodologies utilisées n’ont cessé de s’adapter à nos clients et à leurs spécificités sectorielles.
Plus récemment, nous explorons le secteur du BTOB sur la question « Comment créer de la valeur émotionnelle et relationnelle ? ».
En 2012, nous avons vendu « Luxury Attitude ». Avec Erik, nous prenons des routes différentes, qui restent parallèles.
Depuis 2017, j’ai fait le choix de revenir à une vision plus artisanale de mon métier, vision qui me correspond à 100% et qui m’offre le « Luxe » de travailler au coup de cœur, en fonction des rencontres avec des marques ou des dirigeants, tout en préservant mon équilibre de vie pour « ne pas perdre ma vie à la gagner ».
Comment développez-vous cette idée de création de valeur ajoutée « PAR l’humain et POUR l’humain» ?
Je développe cette idée « PAR et POUR », en observant que chaque métier, chaque activité a besoin de cette relation humaine, qualité irréprochable, potentiellement partagée par toutes les personnes. On tente alors d’approcher la question clé de « OÙ et COMMENT créer la valeur ajoutée ? ».
Pour atteindre cet objectif, on observe trois composantes clés :
- le professionnalisme,
- la relation humaine,
- l’esthétique et le sensoriel.
Reprenons l’exemple d’un imprimeur qui adresse à son donneur d’ordre quelques exemplaires du document réalisé, parallèlement à la livraison globale chez le client final. Il est professionnel de partager la qualité de son travail et de faire savoir à son client que cette qualité est au rendez-vous. Le donneur d’ordre ouvre l’enveloppe, ému de découvrir le fichier .pdf délivré imprimé et façonné, il le touche, entre en contact avec le ou les papiers, observe le rendu des couleurs, prend conscience de la densité du document qu’il détient entre ses mains, ressent sa présence unique en terme de musicalité et de douceur de la finition sous ses doigts. Le toucher associé aux sons du papier est ici très impactant. Le donneur d’ordre sera très touché que son imprimeur ait pensé à le rassurer, le petit mot qui accompagne ces justificatifs fera la différence. Ce geste de la part du commercial de l’imprimerie en charge du dossier se démarque significativement d’un envoi impersonnel. Il choisira les mots pour ancrer le lien avec son client.
En BTOB, il est vraiment important de soigner ces signes relationnels. Cette fiabilité valorise le produit fini. Plus le produit est technique, plus la création de valeur est importante pour se singulariser et marquer notre différenciation.
Editer des ouvrages, des supports de communication est un métier à la fois très technique et très sensoriel. Il faut soigner l’émotionnel en s’appuyant sur le matériel dont est équipé l’imprimerie, aussi rugueux soit-il – encres, papiers, massicot, reliures, poussières… – et faire rêver le client donneur d’ordre ainsi que le client final.
Prenons pour exemple la cuisine dans les palaces : on recherche une cuisine incarnée, délicate, un parti-pris fort, une signature avec un chef. On pousse la valeur d’expérience très loin.
C’est la même chose en édition, que lorsqu’on dévoile un plat en cuisine. Dans l’assiette, la mise en scène, les saveurs, les couleurs dévoilent un supplément d’âme. Un livre devra dévoiler la chaine de valeur entre le papetier, l’imprimeur, le façonnier et le livreur qui délivre cet objet attendu, la forme dédié à 100% au fond.
Bien que nous soyons dans le milieu industriel, nous sommes dans l’intime. Notre intervention représente le projet, la vision et l’ambition du client.
Par exemple, dans l’automobile, le client achète une marque, de la puissance, une concession. Aussi luxueux soit le produit, il peut l’acheter à différentes adresses de distribution. Mais alors, qu’est-ce qui provoque l’envie de se rendre chez ce distributeur ? A quel moment le client accepte-t-il que le concessionnaire appose son logotype à l’arrière du véhicule ? Le concessionnaire redonne de la valeur au produit acheté. Pour le client, c’est valorisant d’avoir le logotype de POZZI encore plus sur sa BMW que sur sa Ferrari. Le client devient alors prescripteur de vos produits et de vos services, mais il peut aussi être un détracteur ! Il faut alors aller au-delà, et passer à l’étape du story sharing : donnez envie de raconter et de partager vos expériences clients, encore faut-il que ces « histoires / expériences » soient intéressantes. C’est exactement la mission que doit se fixer tout fournisseur de produits et de services. Les deux sont indissociables.
Qu’est ce qui rend la relation durable ? Le prix ? La concurrence ?
Ce qui rend la relation durable tient rarement au prix ! Il y aura toujours quelqu’un de moins cher…
Ce qui rend la relation durable dès lors que le prix reste juste, c’est le mix entre le professionnalisme, la relation et l’émotion. Le donneur d’ordre qui reçoit son enveloppe, il a quelque chose à raconter, à partager avec son client final. Il est dans le story sharing. Il doit être capable d’exprimer un service, un élément fort de cette expérience. Il faut sortir coûte que coûte de la relation banalisée. Posons-nous toujours la question « si mon client doit parler de moi, qu’est-ce que je lui ai donné à raconter, à partager ? Quelle expérience suffisamment marquante lui ai-je fait vivre pour qu’il ait une envie irrépressible d’en parler ? ». Si aucune réponse ne vous vient à l’esprit, c’est que certainement la notion d’Expérience Client n’a pas été totalement intégrée au sein de votre entreprise. Si c’est un exemple qui vous vient à l’esprit, bonne nouvelle, vous disposez d’une référence, mais l’idée de la démultiplier doit, maintenant, devenir une priorité.
Comment incarner le projet en BTOB ?
Prenons cet autre exemple dans l’hôtellerie : le personnel du SPA n’a pas les mêmes consignes que le personnel en charge des chambres. Et pourtant, les deux professionnels créent de la valeur pour l’établissement. On demande à la thérapeute du SPA d’être attentive et douce, alors qu’on demande à la femme de chambre d’être irréprochable sur la question de l’organisation des espaces et des services liés à l’hygiène.
Pour quel métier, créer de la valeur ajoutée émotionnelle en se distinguant, est le plus aisé ?
Spontanément, on pense que c’est plus difficile pour une femme de chambre. C’est le contraire : toutes les thérapeutes créent de la valeur émotionnelle et sont attendues sur ce point par des clients très expérimentés. Le challenge est par conséquent difficile à relever. Pour une femme de chambre, si elle y accorde un minimum de temps, elle est en capacité de surprendre et de toucher son client par un détail, comme un marque page dans un livre laissé ouvert sur une table de chevet, ou encore les lunettes de lecture nettoyées et délicatement posées dessus : 30 secondes pour un maximum d’effet !
L’imprimerie est plus proche du Housekeeping que du Spa, l’attente émotionnelle autour du produit est faible, comparativement à d’autres métiers, il est d’autant plus simple de se démarquer. Créer de la valeur émotionnelle fera LA différence.
Existe-t-il des freins entre la direction et ses salariés pour la mise en application de cette signature ?
On doit pouvoir s’autoriser des services dans des cas exceptionnels. Dans la plupart des cas, on constate que les salariés se comportent comme leur donneur d’ordre.
Beaucoup de tensions sont liées aux négociations de prix ou des services, alors que très souvent le client est prêt à « upgrader » son cahier des charges pour disposer des services qui le libèrent de tensions inutiles.
Le livreur, par exemple, est le dernier maillon de la chaine de valeur. L’image que retiendra le client final est celle du message et de l’attitude du livreur. Dans l’édition, la livraison est souvent réalisée par les services internes de l’imprimerie. Il convient de personnaliser et d’entretenir la camionnette, de confier la livraison à un livreur qui est aimable et bienveillant, pleinement présent dans sa relation avec le client au moment de la livraison.
Dans les métiers de l’édition, la chaine de valeur se situe depuis le commercial qui recommande au client les papiers et valorise son parc machines, – le message de sa boite vocale doit être soigné, sa signature de mail aussi, le site de la société doit être attractif – , en passant par les techniciens de l’unité de production, lors de la visite du client ou du donneur d’ordre, jusqu’à l’envoi des échantillons d’impression et enfin, jusqu’à la remise du colis ou de la palette de la commande finale. Et enfin, maillon souvent oublié, le commercial rappelle son client pour s’assurer que tout est positif.
En fait l’expérience client s’appuie sur un écosystème qui doit lui-même bénéficier de la valeur ajoutée émotionnelle de l’expérience pour avoir envie d’y contribuer. C’est vrai des salariés comme des partenaires.
Prenons pour exemple un palace. Nous avons travaillé sur « l’esprit » de ce palace. Cette expérience que nous avons initiée avec les fournisseurs du palace est singulière : il réserve un espace aux coursiers. Ici, ces derniers disposent d’un espace de repos, de café, d’eau, de commodités, de bloc notes, de prises pour charger leur téléphone cellulaire. Ce palace considère et valorise la part d’humanité de chacun. L’entreprise considère que chaque maillon est important et sensible. Aussi, dans des moments de difficultés tels que les grèves ou les embouteillages du triangle d’or, le palace peut compter sur sa flotte de livreurs, répondre à toute sorte de services demandés par sa clientèle. Ces partenaires clés sont labellisés : ils bénéficient de réductions de 10 à 15% sur l’organisation de repas d’affaires au restaurant de ce palace. Ce deal représente près de plusieurs centaines de milliers d’euros de CA par an. Une opération win win.
Dans cette relation, nous touchons à la notion de don et de dette.
Quand on ne donne rien, on ne reçoit rien ! C’est humain. Il ne faut pas s’en étonner.
Tout comme, il ne faut pas donner pour attendre en retour. Jamais le client ne doit se sentir redevable.
Durant la dernière crise liée à la situation sanitaire du COVID, le secteur de l’hôtellerie a beaucoup souffert. La réouverture était périlleuse. Les formations ont été limitées. Aussi, j’ai décidé d’offrir des pastilles vidéo – des formats courts de formation – permettant de maintenir le lien en interne chez le client, de ne pas perdre les acquis auprès du personnel et de poursuivre la transmission auprès des nouveaux salariés. Cela a créé un lien de reconnaissance. Une forme de pacte scellant notre relation et notre solidarité.
En conclusion, la question que tout entrepreneur doit se poser pour évaluer s’il est engagé sur le chemin de l’Expérience Client :
« Puisque mes prestations sont de qualité, comme celles de mes confrères, qu’est-ce que je fais pour que mes clients aient envie de me confier leurs prochains projets et qu’ils aient envie de parler de moi ? Est-ce que j’ai soigné la valeur relationnelle, émotionnelle et sensorielle ? Est-ce que cette valeur a dépassé le prix, pour qu’ils considèrent que travailler avec moi et mes équipes à une VALEUR plus qu’un prix ? »
Interview de Lionel Meyer, le 20 décembre. Paris.
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